Lorsqu'une méthode de cuisson rime avec goût, santé et efficacité, elle ouvre d'innombrables possibilités aux professionnels de la restauration et aux amateurs. En 12 questions-réponses, cet article vous donne les clés pour comprendre et maîtriser la cuisson sous-vide à une température précise.
Qu'est-ce que la cuisson ?
L'objectif de la "cuisson" est de transformer les aliments par la chaleur, en modifiant les propriétés fonctionnelles de leurs composants et en améliorant ainsi leur goût (arômes et saveurs), leur texture, leur couleur, leur tendreté et leur digestibilité.
Le second objectif de la cuisson est d'assurer la sécurité et la durabilité des aliments.
"En matière de cuisine, cherchez ce qui est bon au goût et vous obtiendrez ce qui est bon pour la santé.
Bruno Goussault, scientifique en chef chez Cuisine Solutions
Qu'est-ce que la cuisson à basse température ?
La cuisson à basse température est une technique qui consiste à cuire les aliments à une température plus basse que celle traditionnellement utilisée, mais pendant une durée plus longue, afin d'obtenir une meilleure texture et une meilleure jutosité. La cuisson à basse température est généralement opposée à la cuisson traditionnelle à haute température.
Qu'est-ce que la cuisson à température précise ?
La cuisson à température précise est une technique de cuisson à une température à cœur précise, obtenue en plusieurs étapes dans des environnements à température décroissante.
Quelle est la différence entre la cuisson à basse température et la cuisson à température précise ?
La cuisson à basse température est différente de la cuisson à température précise et n'a pas la précision et la rigueur de cette dernière. Elle suit les tendances actuelles, en utilisant des températures qui peuvent parfois s'avérer dangereuses. Plus bas que bas, on ne sait pas où s'arrêter : la limite de 52°C, point de départ de la destruction des formes végétatives des bactéries pathogènes, est mal connue, ce qui inquiète les autorités en charge de l'alimentation et de l'hygiène.
Pour les viandes et poissons servis crus ou cuits en dessous de cette température de 52°C, que j'appelle "sushi chaud", les aliments doivent être utilisés très frais et servis immédiatement après leur préparation, ce qui n'est pas toujours le cas dans certains restaurants où les plats sont préparés à l'avance et laissés au repos avant d'être servis.
La viande ou le poisson cuits à basse température ne sont pas nécessairement intéressants d'un point de vue sensoriel, car ils ont tendance à être complètement mous. En revanche, une cuisson à juste température permet d'obtenir une texture avec de la mâche à l'extérieur, tout en gardant une texture moelleuse et fondante à l'intérieur.
Quelles sont les températures maximales à cœur pour préserver la saveur ?
D'une manière générale, le goût d'un aliment est préservé jusqu'à 66°C pour les produits animaux (viande, poisson) et 83°C pour les produits végétaux. Une exception est faite pour les cuisses de volaille, qui restent juteuses jusqu'à 74°C.
Comment cuire à la bonne température ?
L'eau est le meilleur fluide caloporteur et se règle facilement au 1/10e de degré près, ce qui permet un contrôle précis de la température de cuisson. Bien sûr, il faut envelopper le produit que l'on veut cuire pour que l'eau ne le dénature pas, et pour cela, on lui met une seconde peau.
Aujourd'hui, cette peau est un sac en plastique dans lequel on fait le vide pour que le film adhère au produit et que le transfert de chaleur avec le bain de cuisson soit optimal. C'est la base de la technique de cuisson sous vide. C'est une technique exigeante, qui nécessite des investissements en matériel, mais qui offre de nombreux avantages.
Que peut apporter la science à l'art culinaire ?
Pour obtenir les résultats visuels et gustatifs souhaités, les chefs et les cuisiniers amateurs doivent comprendre les propriétés fonctionnelles d'un aliment, et donc l'utilité du produit dans leur recette.
Les propriétés fonctionnelles ont une relation directe avec les propriétés sensorielles.
Comment les propriétés fonctionnelles des aliments évoluent-elles au cours de la cuisson ?
Prenons l'exemple d'un œuf. L'œuf possède 4 propriétés fonctionnelles principales intéressantes en cuisine :
- La transparence du blanc d'œuf
- Il permet de voir la couleur des autres aliments à travers lui.
- Cette transparence est maintenue jusqu'à 58°C. Au-delà de cette température, l'albumine est altérée et des taches blanches apparaissent.
- La perception des couleurs est altérée, comme un "London fog" !
- Le même phénomène se produit avec les protéines présentes dans la viande rouge, qui passe du rouge à l'air libre, au bleu lorsqu'elle est cuite à point (moins de 62°C), au gris lorsqu'elle est bien cuite (plus de 63°C).
- La propriété coagulante du blanc d'œuf
- Il permet à plusieurs protéines de s'agglutiner. Cette capacité de "cimentation" commence à se dégrader à partir de 60°C. La vitesse de dégradation dépend de la température et de la durée de la cuisson.
- L'utilisation du blanc d'œuf pour coller les protéines permet d'éviter le recours à la transglutaminase, un additif présent dans le surimi et certains plats végétaliens, qui peut provoquer des réactions allergiques et qui est également soupçonné de créer un environnement propice au développement bactérien.
- La propriété moussante du blanc d'œuf
- Le blanc d'œuf peut être utilisé pour créer des mousses et alléger les préparations.
- Cette propriété se dégrade avec la température et n'existe plus au-delà de 60°C.
- La propriété émulsifiante du jaune d'œuf
- Il est utilisé pour réaliser des sauces telles que la mayonnaise ou la béarnaise.
- Cette propriété fonctionnelle se dégrade avec la température vers 65°C.
Quels sont les avantages de la cuisson sous-vide à des températures précises ?
1. Une saveur renforcée
Lors de la cuisson, les aliments perdent de l'eau et donc de la saveur.
Par exemple, lorsque la blanquette de veau est cuite de manière traditionnelle, c'est-à-dire dans de l'eau bouillante à plus de 95°C, la viande perd sa saveur, qui passe dans l'eau de cuisson.
Si on la cuit selon la technique de la "cuisson sous vide à température précise", à 66°C à cœur, la viande conserve une grande partie de son eau. La petite quantité de jus peut alors être récupérée et utilisée pour faire un roux, apportant ainsi les éléments de saveur pour une sauce. Le roux utilise la propriété fonctionnelle de l'amidon, qui gonfle dans un liquide et gélifie les éléments gustatifs.
2. Valoriser les parures de viande
La cuisson à la juste température permet d'obtenir des propriétés sensorielles de qualité (texture, couleur, jutosité) avec des morceaux de viande qui sont généralement destinés à être transformés en viande hachée, à être utilisés pour l'alimentation des animaux domestiques ou à être jetés.
La cuisson sous vide d'un plat de côtes de bœuf pendant 72 à 120 heures (selon la qualité de la viande) à 56°C permet d'obtenir des valeurs gustatives similaires à celles des meilleurs morceaux. Un chef peut ainsi proposer une assiette composée de différents muscles de bœuf cuits à la bonne température (filet, joue, jarret, etc.), réduisant ainsi les coûts de production tout en offrant une expérience gustative incomparable.
3. La régularité
La cuisson sous vide est à la cuisine ce que le cinéma est au théâtre ! Elle est reproductible et offre la même performance à chaque fois, ce qui facilite l'obtention du résultat souhaité et améliore la gestion des coûts alimentaires.
4. La conservation
De très bons résultats sont obtenus lorsque les aliments cuits sous vide à la bonne température sont conservés dans leur sac de cuisson en chambre froide à 1-3°C, afin de préserver leur pasteurisation.
J'espère pouvoir démontrer que des carottes cuites à 83°C peuvent être conservées jusqu'à 1 an sans perdre leur goût.
5. La sécurité alimentaire
Le contrôle de la température est important, certes, mais il ne faut pas oublier que la sécurité alimentaire ne commence ni ne s'arrête là. Les agents pathogènes peuvent apparaître bien avant que vous ne commenciez à cuisiner. Ils peuvent être présents sur les surfaces de la cuisine, les équipements ou même dans l'air bien avant que les aliments ne soient mis dans le sac.
La cuisson à la bonne température élimine bon nombre de ces risques, mais si des agents pathogènes sont laissés sur vos outils de cuisine, c'est un énorme problème. En matière de contamination, il faut voir les choses dans leur ensemble. Bien entendu, une hygiène rigoureuse et un assainissement complet font également une réelle différence dans la préservation de la sécurité des aliments.
Mario Hupfeld, directeur technique et cofondateur de NEMIS Technologies
Par rapport à la cuisson à basse température, celle-ci est essentielle pour la sécurité alimentaire, car elle permet de tuer les bactéries et les parasites nocifs qui peuvent provoquer des intoxications alimentaires. Des conditions de temps et de température très précises doivent être respectées.
La technique du sous-vide permet d'éviter les risques de contamination lors du stockage après la cuisson, puisque l'aliment peut être conservé dans son sac de cuisson, sans être ouvert, jusqu'à son utilisation.
6. Préservation des nutriments
Le sous-vide permet de préserver les nutriments des aliments grâce à son sac de conservation, qui empêche la dilution des vitamines et des minéraux dans l'eau ou la graisse de cuisson. De plus, alors que les températures élevées entraînent souvent une destruction importante des vitamines, réduisant ainsi la valeur nutritionnelle des aliments, une cuisson à la bonne température est moins agressive pour le produit.
Cependant, la dégradation est fonction non seulement de la température, mais aussi du type de nutriment et du temps de cuisson. Des chercheurs ont montré que dans certains cas, la cuisson à haute température permet de préserver davantage de nutriments.
7. L'innovation
La cuisson à température précise apporte des solutions innovantes aux contraintes des cuisines professionnelles.
Par exemple, la cuisson à la bonne température étant lente et précise, une solution innovante pour optimiser l'utilisation des infrastructures est de cuisiner la nuit, ou entre deux services, sans nécessiter la présence d'un chef.
Autre exemple : les règlements sanitaires imposent aux cuisines collectives d'utiliser des œufs pasteurisés, ce qui les empêche de fabriquer des mayonnaises maison. Chefs et chercheurs se sont demandé s'il était possible de faire une sauce émulsionnée avec un jaune d'œuf pasteurisé à 63,2°C pendant au moins 45 minutes. J'ai montré qu'il est possible de réaliser une telle sauce par une cuisson à température précise, non seulement avec l'"œuf parfait", mais aussi avec l'"œuf d'argile", ce qui ouvre des possibilités intéressantes pour les cuisiniers de la restauration.
L'œuf en terre cuite est une technique culinaire que j'ai mise au point. Elle consiste à cuire un œuf dans sa coquille à une température constante de 63,2°C pendant 90 minutes. Cette cuisson lente permet aux protéines de l'œuf de coaguler en douceur, ce qui donne au jaune d'œuf une texture proche de la pâte à modeler lorsqu'il est manipulé à froid.
8. Gestion des pertes
La cuisson sous vide à la bonne température permet de gérer plus finement l'utilisation des aliments cuits. En effet, tant qu'ils sont dans leur sac de cuisson fermé, la durée de conservation est fortement augmentée.
De plus, selon le style de restauration, il est possible de préparer des portions individuelles, ce qui réduit considérablement le gaspillage lors de l'utilisation.
Quels sont les conseils pour réussir la cuisson sous-vide à la bonne température ?
- Maintenir une hygiène irréprochable, surtout si l'on veut obtenir une température à cœur proche du minimum requis pour neutraliser les bactéries.
- Évitez que les produits ne se touchent lors de la mise sous vide.
- Contrôlez les deux températures : la température ambiante (le bain de cuisson) et la température à cœur.
- Mesurer exactement la température à cœur.
- Tenir compte de l'inertie lors de l'arrêt de la cuisson : plus la différence entre le bain de cuisson et la température à cœur souhaitée est grande, plus l'inertie est importante. La cuisson par étapes permet de maîtriser l'inertie.
- Pour la charcuterie, il faut viser une température de 68°C pour stabiliser la couleur, mais ne pas aller au-delà pour conserver l'eau contenue dans la viande. Une perte de poids de 20 % due à la perte d'eau a été mesurée à partir d'une température de 72°C, avec une perte de chiffre d'affaires correspondante pour les produits vendus au kilo.
- Il est important de travailler sur les protocoles de préparation et de cuisson des produits afin d'en assurer la cohérence et la reproductibilité.
Comment cuire la viande à la bonne température sous-vide ?
Le bain de cuisson doit être supérieur de 2°C à la température finale souhaitée à cœur.
- Emballer la viande sous vide (à une température inférieure à 6°C) et la plonger dans le bain de cuisson.
- Chauffez à 83°C pendant quelques minutes pour détruire les bactéries de surface et donner de la texture au produit.
- Si la viande doit être servie colorée, elle doit être saisie avant et après la cuisson sous vide, afin de lui faire bénéficier de la réaction de Maillard. Veillez à ne pas surchauffer la viande lors de la coloration.
- Si vous souhaitez conserver la viande, laissez-la dans le sac sous vide sans l'ouvrir et n'utilisez pas de cellule de refroidissement. Refroidir par étapes, 10 min à température ambiante, 10 min dans un bain d'eau du robinet et 2 heures dans un bain d'eau glacée, afin que la température à cœur du produit soit inférieure à 10°C.
- Si vous souhaitez réchauffer la viande avant de la servir, et qu'il y aura une nouvelle opération de marquage, il est important de s'assurer que la température à cœur de la viande n'est pas supérieure à la température de cuisson.
- La viande cuite à la bonne température sous vide peut être conservée pendant plus de 30 jours en chambre froide.
- Pour la viande de bœuf, la température à cœur doit être comprise entre 54 et 66°C, en fonction des qualités gustatives souhaitées. Attention à la cuisson à 54°C : il faut être très précis et maintenir une hygiène irréprochable pour éviter le développement de bactéries saprophytes.
- Pour un filet de poulet, il faut viser une température à cœur de 62°C en fin de cuisson, et utiliser une température de bain de cuisson de 66°C.
- Les cuisses de volaille sont une exception, car une température plus élevée est nécessaire pour fixer la couleur (et éviter le rose) de la protéine le long de l'os, ce qui n'est pas vraiment un problème, car elle retient son eau à des températures plus élevées que d'autres protéines. On vise donc une température à cœur de 74°C.
- Il est également très difficile de cuire le gibier et le lapin à la bonne température sous vide, car il y a trop d'acide lactique à l'intérieur des muscles, ce qui leur donne une texture cotonneuse.
La cuisson du poisson est plus délicate que celle de la viande, car la forme et l'épaisseur des filets ne sont pas homogènes, et la chair est plus fragile à travailler. Mais une technique de cuisson bien maîtrisée donne des résultats très intéressants.
Surtout si l'on utilise le système de salage en saumure liquide que j'ai mis au point. Il permet de contrôler la pression osmotique dans les myotomes du poisson avant la cuisson, ce qui donne au filet une belle texture et un aspect nacré.
Comment cuire des légumes à la bonne température sous-vide ?
La cuisson des légumes à la bonne température nécessite une approche différente de celle de la viande, car les structures cellulaires sont très différentes. La bonne température à cœur pour les légumes est généralement de 83°C pour une texture "al dente", et de plus de 85°C pour une texture fondante.
La dégradation de l'amidon, dont l'hydrolyse est indispensable à la digestion, commence vers 78°C.
La mode des légumes "al dente" conduit souvent certains chefs à proposer des légumes cuits trop rapidement à l'ébullition ou à moins de 78°C, ce qui les rend particulièrement difficiles à digérer. En tenant compte des deux paramètres de température précités, la cuisson sous vide à la bonne température permet d'obtenir un bon équilibre entre digestibilité et texture.
- Après avoir lavé les légumes dans du vinaigre et de l'eau, assaisonnez-les directement dans le sac de cuisson avec 0,5 % de sel et 1 % de matière grasse. La matière grasse joue un rôle essentiel dans la fixation des saveurs de la cuisson sous-vide.
- Utilisez de préférence de l'huile de pépins de raisin, idéale pour son goût neutre.
- Avant de mettre les légumes sous vide, veillez à ce qu'ils soient bien disposés dans le sac.
Il faut environ 10 fois plus de temps pour cuire des légumes à 83°C qu'à 100°C (200 minutes au lieu de 20). - Si vous débutez dans la cuisson sous-vide, limitez les mélanges de saveurs. Préférez un assaisonnement simple, car la cuisson sous vide sublime les saveurs, et un ajout de saveurs dans le sac de cuisson pourrait dominer le goût principal.
- Une fois que vous avez acquis de l'expérience avec cette méthode de cuisson, vous pouvez laisser libre cours à votre créativité - les chefs experts et les MOF de l'EHL ont expérimenté leur créativité en ajoutant une quantité précise d'écorce d'orange dans le sac de cuisson des endives, avec des résultats délicieux pour certains, mais masquant le goût de l'endive pour d'autres.
Les légumes cuits sous vide à la bonne température peuvent être conservés pendant 40 jours en chambre froide, si les différents paramètres de cuisson, de refroidissement et de conservation sont respectés avec précision.
A noter que pour les légumes verts, la cuisson à juste température (83°C) ne permet pas de conserver la couleur verte, liée à la chlorophylle qui se dégrade sous l'effet de la chaleur et du temps.
Enfin, les nutriments tels que les vitamines n'évoluent pas de la même manière lors de la cuisson. Leur dégradation varie en fonction du temps de cuisson et de la température. Si l'on veut préserver une vitamine plutôt qu'une autre, il faut choisir le bon mode de cuisson. Des recherches sont actuellement en cours à l'Institut de R&D en nutrition de l'EHL pour définir plus précisément ces phénomènes.
A noter que les températures et les temps de cuisson ne s'appliquent pas aux légumes-fruits, tels que les aubergines, les concombres, les courgettes et les tomates. Pour ces dernières, les durées sont très variables en fonction de leur degré de maturité.
Conclusion
La cuisson sous vide à des températures précises, fruit de l'application des connaissances scientifiques à l'art culinaire, offre un large éventail de possibilités aux cuisiniers de tous niveaux. Grâce à la créativité des cuisiniers et à l'expérimentation des chercheurs en nutrition, les propriétés des aliments cuits à la bonne température continueront d'ouvrir la voie à de nouvelles expériences sensorielles.
Cet article est issu des discussions de la première conférence sur la cuisson à température précise, organisée par l'Institut de recherche et développement en nutrition de l'EHL et les Chefs et experts en arts culinaires de l'EHL, avec les contributions scientifiques et techniques du Dr Bruno Goussault, expert mondial en cuisson à température précise, et d'Alain Briquet, Chef et ancien ingénieur en restauration collective.