français

23 novembre 2023 •

8 min de lecture

L’enseignement du français langue étrangère à l’EHL

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Introduction

Lorsque nous présentons notre profession, notre école et notre environnement de travail nos interlocuteurs (enseignants ou non) nous posent souvent les questions suivantes : Comment faites-vous pour enseigner à des étudiants d’autant de nationalités différentes ? Enseignez-vous différemment aux étudiants venant d’un coin du monde ou de l’autre ? Est-ce que les étudiants réagissent différemment à votre enseignement selon leur nationalité ? Ces questions nous ont amenées à explorer cette problématique dans cet article et à partager notre expérience d’enseignement du français (des affaires) dans un contexte multiculturel tel que celui des classes de l’Ecole hôtelière de Lausanne. Notre défi, et finalement notre richesse, est de répondre aux attentes des étudiants venant des quatre coins du monde. 

 

francoise rosalie

Françoise Thomas et Rosalie Philippin, enseignantes du français langue étrangère à l'EHL 

Un enseignement à la croisée de cultures et des cultures éducatives 

Tout d’abord, posons le cadre de notre enseignement : L’école hôtelière de Lausanne accueille 3300 étudiants de 116 nationalités et est composée d’une équipe pédagogique de 145 enseignants de 20 nationalités. L’EHL est donc une institution où se rencontrent une multitude de cultures, y compris éducatives.

La culture éducative est un ensemble d’habitudes d’apprentissages, de pratiques pédagogiques et de matériel d’apprentissage (types de manuels, d’exercices) propre à une communauté de personnes. On peut donc parler de culture éducative française, de culture éducative suisse, de culture éducative chinoise et ainsi de suite. Il existe des cultures éducatives plus ou moins éloignées les unes des autres (Robert, 2009).

 

Nos classes

L’école hôtelière de Lausanne propose des cours de français du niveau A1 au niveau C1 du cadre européen des langues. Nous avons observé que les étudiants des niveaux intermédiaires et avancés (B1-C1) ont tendance à avoir des cultures éducatives proches des cultures éducatives européennes tandis que les niveaux débutants (A1-A2) sont composés en majorité d’étudiants venant de cultures éducatives éloignées ou très éloignées. Nos classes de français A1 et A2 sont composées d’environ 50% d’étudiants chinois, hongkongais, taiwanais, singapouriens, coréens, thaïlandais et vietnamiens. Ces étudiants aux cultures éducatives éloignées de celles européennes partagent d’autres cours avec des étudiants de cultures éducatives proches de celles européennes.

 

La culture éducative des enseignants 

Les cultures éducatives du corps enseignants de l’EHL  sont, elles aussi, multiples. Pour ce qui est des enseignants de français langue étrangère de l’EHL, ils ou elles ont été formés pour certains en Suisse et pour d’autres en France.  Pour notre part, nous sommes toutes les deux françaises et avons donc suivi un cursus scolaire dans un pays, la France, où l’enseignement est très centralisé et uniformisé. De plus, le hasard fait que nous appartenons à la même génération et avons étudié dans la même université, Paris X Nanterre. Nous avons toutes deux fait des études de langue et civilisation, en anglais pour Rosalie et en espagnol pour Françoise, avant de se spécialiser dans le français langue étrangère. Nous avons l’expérience d’un enseignement en contexte multiculturel ou homogène. Nous sommes donc issues d’une même culture éducative et d’un même courant de la didactique européenne. 

 

La culture didactique du FLE 

L’Enseignement du français langue étrangère à l’EHL s’insère en grande partie dans le mouvement de l’enseignement des langues dans un contexte européen, c'est-à-dire un contexte où l’approche didactique la plus répandue est la méthode communicative ; on apprend une langue en parlant et en réalisant des tâches, en communicant. Cette approche est aussi renforcée par le Cadre européen commun de référence pour langues (CERC) et l’approche actionnelle qui prône une pédagogie interculturelle où « les locuteurs sont considérés comme des acteurs sociaux qui accomplissent des tâches » (Robert, 2009, p.108). Beaucoup plus centré sur l’apprenant et ses besoins langagiers, l’enseignant lui donne des outils dont il pourra se servir dans des situations de la vie courante. Selon l’objectif du cours : français général, français de spécialité, français sur objectif spécifique, l’enseignant délivre un cours selon les niveaux du CECR (A1 à C2) mais il n’est pas rare que le public se montre réfractaire.  Par ailleurs, selon Robert :

Apprendre une langue étrangère ou seconde, c’est entrer en contact avec une nouvelle culture. Mais c’est aussi être confronté à la diversité culturelle. (…) La reconnaissance de la diversité culturelle et de la pluralité se limite à un simple constat : Il y a des différences !  (2009, p.102).

Dans cette perspective, l’interculturalité a toute sa place. Ainsi, un double défi se présente aux enseignants de langues étrangères : l’interculturalité est non seulement une notion à prendre en compte dans la classe de langue (le public multiculturel) mais elle fait aussi partie des connaissances et apprentissages à transmettre aux étudiants (Pretceille, 1999). L’approche interculturelle qui est notion du cadre européen a donc tout intérêt à exister dans nos cours. Les futurs entrepreneurs / managers / employés que sont nos apprenants ne peuvent que bénéficier de l’apprentissage de la communication à travers la culture de l’autre.  

 

L’enseignant face à sa classe multiculturelle 

L’hétérogénéité d’une classe doit être accueillie comme une richesse. Pour faire face aux défis des classes hétérogènes et multiculturelles de l’EHL, nous nous sommes enrichies d’ouvrages et publications proposants des méthodes d’enseignement adaptées à différents publics. Par exemple, dans son ouvrage Manières d’apprendre (2009), Robert présente des stratégies d’enseignement selon les différences entre langues sources et langues cibles, ainsi que selon les publics de cultures éducatives différentes. Il donne également des pistes d’enseignements plus adaptés au public de cultures éducatives éloignées ou très éloignées. Les spécialistes encouragent les enseignants à connaître la culture éducative des étudiants. Comme l’explique Robert : « Il ne s’agit plus d’identifier les composantes culturelles dans le comportement d’un individu ou d’un groupe mais de dialoguer avec l’autre». L’intention ici est donc de dialoguer et apprendre la rencontre. La célèbre citation adaptée de G. K. Chesterton met cela en évidence :

Pour enseigner le français à Jing, il faut d’abord connaître Jing  - (Robert p.113). 

Un fois les livres lus, nous nous tournons vers nos classes. C’est dans le contexte du cours et de notre expérience d’enseignantes que nous faisons le lien entre ce que nous voulons transmettre et comment nous pouvons le faire selon l’apprenant.e que nous avons en face de nous. Michel Rochat vient de réaffirmer en cette rentrée 2020 que l’ADN de l’EHL est la centration sur l’apprenant (Student oriented culture is our DNA). Par conséquent, la centration sur l’apprenant des approches communicatives et actionnelles rejoint la vision de M. Rochat et notre vision en tant qu’enseignantes.

 

Quelle panoplie didactique pour se centrer sur les apprenants et leurs besoins dans un contexte multiculturel hétérogène ?

Nous mettons un point d’honneur à considérer tous les étudiants de la même façon et à inclure tout le monde dans la dynamique de classe. Nous luttons contre les idées reçues et les stéréotypes. Nous créons une ambiance de travail bienveillante et collaborative dans laquelle chacun a sa place et un espace privilégié pour s’exprimer.

Pour ce faire, nous avons différentes stratégies dans notre répertoire didactique :

  • Nous prônons l’individualisation. En effet, nous avons « une démarche qui consiste à prendre en compte les spécificités de chaque apprenant dans la définition […] des pratiques d’enseignement, afin d’assurer une meilleure adaptation de l’enseignement à son destinataire, en termes d’efficacité et de motivation ». (Cuq, 2010, p. 127)
  • Dans nos classes à petits effectifs, nous pouvons avoir un rapport privilégié et individuel avec les étudiants qui le souhaitent. Nous pouvons les accompagner dans leur apprentissage et nous n’hésitons pas à travailler en binôme avec eux lors de jeux de rôles, par exemple. Nous organisons également des séances de coaching selon les besoins de la classe.
  • De plus, eu égard aux cultures éducatives éloignées de certains étudiants, nous modérons nos attentes en matière de prise de parole spontanée comme seul comportement idéal et comme reflet de la motivation et de l’apprentissage des étudiants. Nous comprenons que, comme le dit Robert, les attentes des apprenants de cultures éloignées ne sont pas « attirés par l’acquisition d’une compétence communicative. Ils cherchent un savoir linguistique et se soucient peu de « vivre la langue » » (2009, p.131). Dans ce cadre, la langue professionnelle enseignée à l’EHL correspond bien à un savoir linguistique qu’à une compétence de communication.
  • Les étudiants, familiarisés avec leur propre système éducatif transposeront automatiquement leurs habitudes culturelles en classe de FLE. Pour remédier à cela, nous formulons le plus clairement possible nos attentes. Apprendre à connaître les valeurs et les attitudes valorisées dans une classe permet de mieux s’y mouvoir et de l’apprivoiser. L’étudiant pourra aussi, en retour, mesurer la relativité de son propre système (Coubard, 1999, p.75).
  • Nous allons également vers une « souplesse didactique » (Robert, 2009, p.135) en adoptant des pratiques didactiques de cultures éloignées. Par exemple, la bibliothèque de l’EHL a fait l’acquisition des plusieurs dictionnaires illustrés français-mandarin que les étudiants peuvent emprunter. Certains étudiants utilisent les mêmes manuels que ceux demandés en classe mais en édition bilingue.
  • Nous n’en oublions pas pour autant nos étudiants de cultures éducatives proches et valorisons leur compétence communicative. Finalement, dans une classe multiculturelle hétérogène et bienveillante, tout le monde peut trouver sa place et une réponse à ses attentes/besoins.

Du point de vue interculturel, il est important que les étudiants fassent des pas les uns vers les autres. Par exemple, nous avons déjà fait un échange de présentations culturelles entre la classe de français débutant et celle de mandarin débutant. Lors des fêtes de fin d’année, les étudiants de mandarin et de français se sont échangés des cartes de vœux écrites en mandarin ou en français. Ces échanges pourraient être des situations de conversations entre étudiants dans les langues qu’ils apprennent : par exemple, les russophones apprenant le français rencontrent les francophones apprenant le russe. L’excellent manuel L’interculturel en classe (Chavez, 2012) propose plus de trente fiches à utiliser en classe qui permettent aux étudiants de s’ouvrir à la rencontre avec d’autres cultures.

 

Conclusion 

Nous mettons au cœur de notre enseignement plus de souplesse didactique ainsi qu’une centration sur l’apprenant, en prônant l’éclectisme didactique. Celui-ci se reflète dans la mise en place de toutes les « Best practices » d’enseignement qui permettront à l’apprenant d’atteindre ses propres objectifs et de devenir un jour un employé ouvert aux différences de ses collègues, un manager conscient des particularités de chacun et une personne curieuse et attentive aux autres.

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Bibliographie

  • Chavez, R.-M., L’Interculturel en classe, (2012), PUG. Grenoble
  • Coubard, F., Pauzet, A., Habitudes culturelles d’apprentissage dans la classe de Français Langue Etrangère – F.L.E., (2002), UCO. Angers. L’Harmattan. Paris
  • Cuq, J.P., Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde, (2010), CLE International. Paris
  • Pretceille, M. A., L’éducation interculturelle, (1999), Que sais-je ?, Presses Universitaires de France. Paris
  • Robert, J.M., Manières d’apprendre pour des stratégies d’apprentissage différenciées, (2009), Hachette. Paris
Écrit par
Rosalie Philippin
Written by
Rosalie Philippin

Senior Lecturer at EHL

Françoise Thomas
Written by
Françoise Thomas

Senior Lecturer at EHL

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