Professeure à l'EHL Hospitality Business School, Sowon Kim rend attentif aux notions d'égalité au travail et de harcèlement sexuel. Une exposition sur les alumni, tous des hommes, ayant atteint une position de cadre dans l'industrie détermine son engagement.
Sowon Kim, la notion d’hospitalité correspond-elle davantage au masculin ou au féminin?
SK: Elle s'adresse à l'ensemble des clients, donc tout autant au féminin qu'au masculin. Mais certaines fonctions restent genrées comme dans la direction F&B pour les hommes ou le housekeeping pour les femmes. Et on retrouve plus d'hommes à mesure que l'on grimpe dans la hiérarchie, comme dans d'autres industries.
Pourquoi ce sujet correspond-il autant à l’air du temps?
SK: On voit des changements historiques au début du 20e siècle avec Marie Curie, première femme à obtenir un Prix Nobel, ou l'apparition de femmes soldates pendant la Seconde Guerre mondiale, puis l'apparition des mouvements féministes dans les années 70. Mais oui, cela semble plus évident aujourd'hui à travers les réseaux sociaux, qui permettent l'explosion des frontières avec notamment l'irruption du mouvement MeToo en 2017 et les débats ouverts sur les questions de harcèlement. Tout cela rejoint des préoccupations plus générales liées à la diversité et à l'inclusion. Ces sujets se retrouvent aussi traités dans le monde du travail.
Faut-il le dissocier des questions d’immigration, de religion et de classe sociale?
SK: On ne doit pas oublier l'impact important de la religion et de la culture dans le mariage des enfants ou les questions d’illettrisme. Ce type d'inégalités engendre de grandes souffrances chez les femmes. J'y reste attentive même si mes recherches portent sur un niveau plus petit, limité aux femmes cadres dans les entreprises.
«Les femmes, en gagnant en pouvoir d'achat, influencent aussi le marché vers des produits qui leur parlent»
Certaines facettes du tourisme sont-elles encore assignées à un genre?
SK: Oui, j'ai écrit un article sur le tourisme sexuel dans «EHL Insights», il s'agit d'esclavage moderne, de trafic d'humains qui concerne des femmes dans 70% des cas. Cela génère un commerce extrêmement rentable avec des conséquences judiciaires faibles. Des personnes s'enrichissent là-dessus à hauteur de centaines de milliers de dollars. Et ces activités se déroulent souvent dans des hôtels.
Pourquoi vous intéresser aux questions de genre? Y a-t-il un rapport avec un désir de plus d’égalité?
SK: Oui, cela s'inscrit dans mon histoire personnelle. A 15 ans, en Corée du Sud, j'explique à mon père, haut gradé dans l'armée, que j'aimerais devenir diplomate comme lui. Il me suggère de me marier avec un diplomate. Il a planté la première graine de mon engagement pour l'égalité des droits et des carrières ouvertes à tous.
Votre deuxième déclic se déroule à l'EHL...
SK: À mon arrivée en 2013, une exposition montre les visages des alumni ayant atteint une position exécutive dans l'industrie et je n'y vois que des hommes, alors que 60% de nos étudiants sont des femmes. Je décide alors de fonder «Women in Leadership» au sein de l'école. Nous menons des projets et animons des webinaires autour de ces sujets.
Comment la notion de genre a-t-elle évolué ces dernières années dans les recherches académiques?
SK: Dans les années 70, quand on pensait à un manager, on pensait à un homme. Dans les années 80, l'avancement de la carrière des femmes devient un sujet. Dans les années 90, on aborde le plafond de verre. Et dans les années 2000, la notion de diversité et d'inclusion, y compris dans le domaine de la finance. Mes recherches s'inscrivent toutes dans des objectifs de développement durable, dans le domaine de l'égalité sur la place de travail ou du harcèlement sexuel.
Pourquoi la diversité de genres dans des fonctions dirigeantes amène des dynamiques positives?
SK: Une femme est différente d'un homme, plus réticente au risque, plus appliquée, elle insiste moins sur sa propre confiance, elle exerce plus un leadership transformationnel, trouve des options, des alternatives. Les femmes, en gagnant en pouvoir d'achat, influencent aussi le marché vers des produits ou des services qui leur parlent d'avantage.
Une assignation matérielle et symbolique de la femme à l’espace domestique est-elle un frein à sa reconnaissance professionnelle?
SK: Oui, mais heureusement, le discours marketing a tendance à changer. Même s'il reste orienté par 70% de directeurs créatifs masculins. On associait souvent l'image d'éternelle jeunesse, un corps joli, mince à une femme active dans sa cuisine et à son ménage. De nouvelles formes de communication plus adaptées à l'indépendance des femmes apparaissent.
L’hôtel peut-il devenir un espace de cohabitation et d’intégration sans frontière?
SK: Avec la crise, les fermetures et les licenciements, l'hôtel doit encore plus réfléchir à se transformer à travers des espaces orientés vers les communautés locales. Les hôtels peuvent aussi devenir des espaces de partage de travail, de design, de création. Ne plus segmenter les activités de business et de loisirs.
Les hommes doivent-ils être partie prenante du débat sur la question des droits des femmes ou faut-il uniquement y associer des femmes?
SK: Oui, ils doivent être partie prenante, puisqu'ils ont le pouvoir et que finalement ils vont le partager. La carrière des femmes dépend souvent des réseaux apportés par les hommes. Clairement, les hommes modernes deviennent des alliés.
L’habit fait-il le genre?
SK: Le kimono moderne a commencé à être porté pendant la période japonaise Heian (794-1185), le tissu ne différenciait pas les hommes et les femmes. Au 20e siècle, Coco Chanel a démontré l'élégance du pantalon pour les femmes. On voit aujourd'hui des acteurs comme Billy Porter mettre de magnifiques robes de soirée dans des galas. Depuis fin 2021, le guide de l'apparence professionnelle de l’EHL ne fait plus de distinction binaire.
Que pensez-vous des offres de voyages uniquement adressées aux femmes?
SK: Le «National Geographic», en 2020, écrivait que le futur du voyage appartenait aux femmes. On en parle beaucoup, et cela devient un marché profitable à l'industrie. Elles recherchent aujourd'hui des expériences inoubliables, veulent profiter de leur pouvoir économique, en toute sécurité, avec un grand intérêt pour les expériences durables et locales.
Gestion interculturelle éprouvée et désormais base d'enseignement
Sowon Kim exerce comme professeure associée à l'EHL. Elle a fondé «Women in Leadership» (WIL) en 2018. Elle enseigne les domaines du leadership et de la gestion interculturelle en Bachelor, Master et programmes de formation des cadres. Ses recherches portent sur la personnalité, le réseautage, la gestion du travail et de la famille et la diversité du leadership. Titulaire d'un doctorat de l'Université de Genève, elle y est aujourd'hui professeure invitée. Elle parle quatre langues et a vécu dans huit pays avant de s'installer à Martigny.