La « cuisson » a pour but de transformer les aliments par la chaleur, elle entraîne la modification des propriétés fonctionnelles de leurs composants ce qui permet d’améliorer leur goût (arômes et saveurs), texture, couleur, tendreté et digestibilité.
Le second objectif de la cuisson est d’assurer la salubrité de l’aliment et de lui conférer de la durabilité.
« En cuisson, cherchez le bon, le sain vous sera donné par surcroit »
Bruno Goussault
La cuisson à basse température est une technique qui consiste à cuire les aliments à une température plus basse que celle utilisée traditionnellement, mais pendant une durée plus longue, pour obtenir une meilleure texture et plus de jutosité. La cuisson à basse température est habituellement mise en opposition avec la cuisson traditionnelle dite à haute température.
La cuisson à juste température est une technique qui permet de cuire à une température précise à cœur que l’on obtient en plusieurs étapes dans des environnements à températures décroissantes.
La cuisson à basse température est différente de la cuisson à juste température, elle n’en a ni la précision ni la rigueur. Elle suit les phénomènes de la mode actuelle en utilisant des températures qui peuvent se révéler parfois dangereuses. Plus bas que bas, on ne sait où s’arrêter : la limite de 52°C, comme début de la destruction des formes végétatives des bactéries pathogènes, est méconnue, et cela fait peur aux services d’hygiène.
Pour les viandes et les poissons servis crus ou cuits en dessous de cette température de 52°C, que je qualifie de « sushi chaud », il faut que les aliments soient utilisés très frais et servis immédiatement après la préparation, ce qui n’est pas toujours respecté dans certains restaurants où les plats sont dressés à l’avance et vont rester en attente avant d’être servis.
Une viande ou un poisson cuit à basse température n’est pas forcément intéressant du point de vue sensoriel, ils ont tendance à être entièrement mous. En revanche, la cuisson à juste température permet d’obtenir une texture avec de la mâche à l’extérieur, tout en gardant la texture molle et fondante à l’intérieur.
On considère en général que les valeurs gustatives d’un aliment sont préservées jusqu’à 66°C pour un produit d’origine animale (viande, poisson) et 83°C pour les produits du monde végétal. Il existe une exception pour les cuisses des volailles qui restent juteuse jusqu’à 74°C.
L’eau est le meilleur fluide caloporteur, on peut facilement le réguler au 1/10eme de degré près ce qui permet de contrôler précisément la température de cuisson. Il faut évidemment envelopper le produit que l’on veut faire cuire pour ne pas le dénaturer par l’eau, en fin de compte nous lui mettons une deuxième peau. Aujourd’hui, cette peau est un sachet plastique dans lequel on fait le vide pour assurer l’adhérence de la pellicule au produit et un transfert de chaleur optimal avec le bain de cuisson. C’est la base de technique de la cuisson sous vide. C’est une technique exigeante, qui demande un investissement en matériel, mais qui offre de nombreux avantages.
Qu’est-ce que la science peut apporter à l’art de la cuisson ?
Pour obtenir le résultat visuel et gustatif espéré, les Chefs et les cuisiniers amateurs doivent comprendre les propriétés fonctionnelles d’un aliment, et donc ce pour quoi le produit est utile dans leur recette. Les propriétés fonctionnelles ont une relation directe avec les propriétés sensorielles.
L’œuf a 4 propriétés fonctionnelles principales intéressantes pour la cuisine :
Elle permet de voir la couleur des autres aliments au travers. Cette transparence est conservée jusqu’à 58°C. Au-delà, l’albumine est altérée et des points blancs apparaissent. La perception des couleurs est modifiée, comme dans un “brouillard londonien” ! Il se passe le même phénomène pour des protéines présentent dans la viande rouge qui passe du rouge à l’air libre, ainsi que de la cuisson au bleu jusqu’à la cuisson A point (en dessous de 62°C) et qui vire au gris pour une cuisson bien cuite à partir de 63°C.
Elle permet de coller plusieurs protéines ensemble. Cette capacité de « ciment » commence à se dégrader à partir de 60°C. L’évolution de la dégradation est fonction de la température et de la durée de la cuisson.
Utiliser le blanc d’œuf pour coller les protéines permet d’éviter d’utiliser de la transglutaminase, un additif présent dans les surimis et certains plats végan, qui peut causer des réactions allergiques et est aussi suspectée de créer un environnement propice au développement de bactéries.
Elle permet de réaliser des mousses et d’aérer des préparations.
Cette propriété se dégrade avec la température et cesse d’exister au-dessus de 60°C.
Elle permet de réaliser des sauces telles que la mayonnaise ou encore la Béarnaise.
Cette propriété fonctionnelle se dégrade avec la température à partir de 65°C environ.
Lors d’une cuisson, les aliments vont perdre de l’eau, et avec, les éléments gustatifs.
Ainsi, quand on cuit de la blanquette de veau de façon traditionnelle, c’est-à-dire dans l’eau bouillante à plus de 95 °C, la viande perd son goût, qui va dans l’eau de cuisson.
Si on cuit avec la technique de cuisson à juste température sous-vide à 66°C à cœur, la viande conserve la majeure partie de son eau. On peut ensuite récupérer dans l’emballage de cuisson la petite quantité de jus et réaliser avec un roux, qui va permettre de recouvrer les éléments gustatifs pour réaliser une sauce. Le roux utilise la propriété fonctionnelle de l’amidon, qui en gonflant dans un liquide va coller en se gélifiant les éléments gustatifs.
La cuisson à juste température permet d’obtenir des propriétés sensorielles (texture, couleur, jutosité) de grande qualité avec des morceaux de viande généralement destinés à être transformés en viande hachée, à être exploités pour l’alimentation des animaux de compagnie ou encore à être jetés.
En cuisant un plat de côtes de bœuf sous vide pendant 72 à 120 heures (selon la qualité du bœuf) à 56°C, on obtient des valeurs gustatives semblables à celles des meilleurs morceaux. Un Chef peut ainsi proposer une assiette avec une déclinaison des muscles du bœuf cuits à juste température (filet, joue, jarret…) et réduire ainsi ses coûts de production tout en proposant une expérience gustative incomparable.
« La cuisson sous vide est à la cuisine ce que le cinéma est au théâtre » ! Elle est reproductible et permet d'obtenir des performances identiques à chaque fois, ce qui facilite l'obtention du résultat souhaité et améliore la gestion des coûts des denrées alimentaires.
On obtient de très bons résultats lorsque les aliments cuits à juste température sous vide sont stockés dans leur sac de cuisson en chambre froide à 1-3°C, afin de conserver leur pasteurisation. J’espère pouvoir montrer que des carottes cuitent à 83°C peuvent se conserver ainsi jusqu’à 1 an sans perdre leur goût.
Par rapport à la cuisson à basse température, elle est essentielle pour la sécurité alimentaire, car elle aide à tuer les bactéries et les parasites nocifs qui peuvent causer des intoxications alimentaires. Des conditions très précises de temps et de température sont à respecter. La technique sous vide évite les risques de recontamination lors de son stockage, à l’issue de la cuisson, puisqu'on peut garder l’aliment dans son sac de cuisson, sans l’avoir ouvert, jusqu’à son utilisation.
Elle peut aider à préserver les nutriments des aliments grâce à son sac de conservation qui stoppe la dilution des vitamines et minéraux dans l’eau ou le gras de cuisson. De plus, alors que les hautes températures entrainent souvent une destruction considérable des vitamines, réduisant ainsi la valeur nutritionnelle des aliments, la cuisson à juste température agresse moins le produit.
Cependant, la dégradation est fonction non seulement de la température, mais aussi du type de nutriment et de la durée de cuisson. Les chercheurs ont montré qu’il existe des cas où la cuisson à haute température conserve davantage de nutriments.
La cuisson à juste température permet de trouver des solutions innovantes aux contraintes de la cuisine professionnelle.
Par exemple, la cuisson à juste température étant lente et précise, une solution innovante à l’optimisation de l’utilisation des infrastructures est la cuisson de nuit, ou entre les services, et ce, sans obliger un chef à être présent.
Autre exemple, les réglementations sanitaires imposent aux cuisines de collectivités l’utilisation d’œufs pasteurisés, elles ne peuvent donc pas réaliser de mayonnaises maison. Les chefs et les chercheurs se sont alors interrogés sur la possibilité de réaliser une sauce émulsionnée avec un jaune d’œuf pasteurisé à juste température 63.2°C pendant minimum 45mn. J’ai montré qu’on peut en faire grâce à la cuisson à juste température, avec son œuf parfait, mais également son œuf pâte à modeler – ce qui offre des possibilités intéressantes pour les Chefs de collectivités.
L’œuf pâte à modeler est une technique culinaire que j’ai développée. Elle consiste à cuire un œuf dans sa coquille à une température constante de 63.2°C pendant 90 mn. Cette cuisson lente permet aux protéines de l’œuf de se coaguler doucement pour donner au jaune de l’œuf une texture semblable à de la pâte à modeler lorsqu’il est manipulé à froid.
La cuisson à juste température sous vide permet de gérer plus précisément l’utilisation des aliments cuits. En effet, tant qu’ils sont dans leur poche de cuisson fermée, le temps de conservation est énormément augmenté. De plus, en fonction du style de restauration, des portions individuelles peuvent être préparées ce qui permet de réduire considérable les pertes lors de l’utilisation.
Le bain de cuisson doit être à 2°C au-dessus de la température finale à cœur souhaitée.
La cuisson du poisson est plus délicate que celle de la viande, car les formes et épaisseurs des filets ne sont pas homogènes et la chaire est plus fragile à travailler. Mais une technique de cuisson bien maitrisée donne des résultats très intéressants. Surtout en utilisant le système de salage par saumure liquide que j’ai mis au point. Ceci permet de maitriser la pression osmotique dans les myotomes du poisson avant la cuisson pour conférer au filet une belle texture et un bel aspect nacré.
La cuisson des légumes à juste température demande une approche différente de celle de la viande, car les structures cellulaires sont très différentes. La juste température de cuisson à cœur des légumes est en général de 83°C pour une texture « al dente », et supérieure à 85°C pour une texture fondante.
La dégradation de l’amidon, dont l’hydrolyse est essentielle pour permettre sa digestion commence vers 78°C.
La mode des légumes « al dente » conduit souvent certains cuisiniers à proposer des légumes qui ont été cuits trop rapidement à l’ébullition ou en dessous de 78°C, ils sont particulièrement peu digestes. La cuisson à juste température sous vide permet, en prenant en considération les deux paramètres de température cités ci-dessus, d’obtenir le juste équilibre entre digestibilité et texture.
Une fois que l'on a acquis de l'expérience avec ce mode de cuisson, on pourra laisser libre cours à sa créativité - Les Chefs experts et MOF de l’EHL ont expérimenté leur créativité en ajoutant une quantité précise d’écorce d’orange dans le sac de cuisson d’endives, pour un délicieux résultat pour certains mais masquant le goût de l’endive pour d’autres.
Les légumes cuits à juste température sous vide se conservent 40 jours en chambre froide, si les différents paramètres de cuisson, refroidissement et stockage sont suivis précisément.
À noter que pour les légumes verts, la cuisson à juste température à 83°C ne va pas permettre de conserver la couleur verte, qui est liée à la chlorophylle, celle-ci se dégrade sous l’influence de la chaleur et du temps.
Il faut rappeler enfin que les nutriments tels que les vitamines n’évoluent pas de façon identique au cours de la cuisson. Leur dégradation varie en fonction du temps et de la température de cuisson. Si on souhaite privilégier la conservation d’une vitamine plutôt qu’une autre, il conviendra donc de choisir le mode de cuisson adapté. Des recherches sont en cours à l’Institut de Nutrition R&D de l’EHL pour définir plus précisément ces phénomènes.
Attention, les températures et les temps de cuisson ne s’appliquent pas pour les légumes-fruits, tels que aubergines, concombre, courgettes, tomates. Pour ces derniers, les temps sont très variables eu égard à leur niveau de maturité.
La cuisson à juste température sous vide, fruit de l’application de connaissances scientifiques à l’art de la cuisine, offre un large éventail de possibilités pour les cuisiniers de tous niveaux. Grâce à la créativité des Chefs associée aux expérimentations des chercheurs en nutrition, les propriétés des aliments cuits à juste température vont encore nous réserver de nouvelles expériences sensorielles.
Cet article est tiré d’échanges lors de la première conférence sur la cuisson à juste température, organisée par l’Institut de Recherche & Développement en Nutrition de l’EHL et les Chefs et experts en arts culinaires de l’EHL, avec les contributions scientifiques et techniques des Dr. Bruno Goussault, expert mondial de la cuisson à juste température et Alain Briquet Chef et ancien Ingénieur Restauration Hospitalière.