Ce deuxième volet de la série en trois parties de la visibilité institutionnelle de l'EHL sur la Chine de se penche sur le retour tant attendu des touristes chinois. Il aborde également les tendances changeantes des voyages en Chine. Nous nous tournons vers M. Yong Chen, professeur agrégé d'économie à l'EHL (École hôtelière de Lausanne), pour de plus amples détails.
L'adhésion de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce en 2001 a alimenté l'optimisme quant à une plus grande ouverture économique et culturelle. Cette période a été marquée par une augmentation significative des volumes de tourisme entrant et sortant. D'après le professeur Chen, dans quelques années, avec le recul, nous pourrions considérer la période de 2010 à 2019 comme « l’âge d’or » du tourisme chinois. Cette décennie rose a, selon Chen, cédé la place à un certain degré de morosité. En effet, une multitude de facteurs ont freiné le tourisme chinois à l’étranger. La pandémie, la politique chinoise zéro Covid, les manifestations de 2019-20 à Hong Kong, la guerre commerciale en cours entre les États-Unis et la Chine et la poursuite du glissement de la Chine vers l’autoritarisme contribuent à l’isolationnisme qui affecte le tourisme. « L’hostilité se répercute-t-elle sur le tourisme ? », demande Chen en termes rhétoriques : « absolument ». Il ajoute : « le tourisme est un aspect de la mondialisation, la circulation des personnes est un bien comme un autre qui crée des liens entre les gens. Ces liens n’existent plus. »
Ce changement est visible dans les rues de Pékin. « Il y a moins d’étrangers en Chine qu’auparavant », explique Chen, « même un chauffeur de taxi vous le dira ». Pourquoi ? Pour commencer, tout le monde en Chine a besoin d’un smartphone avec un numéro local pour payer via WeChat ou Alipay, car la plupart des entreprises n’acceptent pas les règlements par carte Visa et Mastercard. Malgré 5 000 ans d'histoire et des paysages magnifiques à faire découvrir au reste du monde, ces restrictions « empêchent les étrangers de venir en Chine », déplore Chen. « En Chine, nous régressons sur la voie de la prospérité. »
Voyager à l'étranger pour la population chinoise est également devenu plus difficile. La bureaucratie a considérablement ralenti le processus de visas. Selon l'agence Reuters [en anglais], les demandes de visas ne représentent que 35 % de ce qu'elles étaient avant le Covid. Une étude menée par McKinsey, le cabinet de conseil, révèle qu'environ 20 % des passeports chinois ont expiré [en anglais] pendant la pandémie, ce qui se traduit par des délais allongés et des projets de voyage retardés. Bien que le gouvernement ait assoupli les restrictions de voyage, en janvier 2023, le nombre de vols à destination et en provenance de Chine n’est pas revenu aux niveaux d’avant Covid. Les compagnies aériennes sont réticentes à l’idée d’ajouter davantage de vols, ce qui contribue au maintien de prix élevés.
L'essence même du tourisme en Chine et pour les Chinois qui s'aventurent encore à l'étranger est en train de changer. Le pacte fondamental de la relation hôte/invité est en péril. Pour Chen, « le tourisme en provenance de Chine n’est pas seulement une question de niveaux de revenus, mais il est désormais très différent en raison d’autres facteurs tels que la géopolitique. Le protectionnisme mondial se substitue à la coopération et à la compréhension mutuelle qui sous-tendent l'hospitalité. » Des questions telles que Taïwan et la guerre en Ukraine attisent la méfiance : « l’atmosphère dans les pays occidentaux n’est pas aussi accueillante pour les Chinois. Le conflit remplace la coopération », conclut Chen.
Alors, vers quoi nous dirigeons-nous ? « Compte tenu du ton de la décennie actuelle, le tourisme ne peut pas prospérer ou survivre dans un environnement aussi tendu. Et il serait irréaliste que le nombre de touristes chinois revienne aux niveaux d’avant Covid dans les quatre ou cinq prochaines années », met en garde le professeur Chen. Et l'hospitalité ? « Cette atmosphère hostile est réellement néfaste pour le tourisme, pas pour toutes les industries, mais pour toutes celles qui nécessitent une interaction humaine, et je ne pense pas que cela changera de sitôt », poursuit-il.
Selon Chen, à mesure que le commerce mondial se contractera, la méfiance nuira « bien évidemment » aux voyages d’affaires. En comparant les périodes de prospérité des années 1990, au cours desquelles les multinationales comme les petites entreprises se précipitaient en Chine en raison de l'ouverture croissante du pays à la mondialisation, « mes perspectives à long terme ne sont pas optimistes, avertit Chen, la politique peut évoluer très rapidement, créant ainsi un climat d'incertitude. » Même si le marché chinois reste attractif, avec une population comparable à celle de toute l’Europe, « la décennie 2020-2030 pourrait être une période très difficile pour la Chine, peut-être même la pire », conclut Chen.
Les tendances des voyages à l'étranger évoluent également. Les jeunes touristes chinois, dont beaucoup ont déjà voyagé à l'étranger avec leurs parents, font désormais cavalier seul, maintenant qu'ils sont adultes. En un mot, finis les groupes de touristes kitsch ! Selon l'étude McKinsey susmentionnée, les touristes chinois évitent les destinations qu'ils ont déjà visitées au profit de la découverte de nouveaux sites. À l'image des tendances mondiales, les touristes chinois sont à la recherche d'une expérience comprenant (par ordre d'importance) des excursions de plein air et pittoresques, des visites touristiques, des expériences culinaires, des sites historiques, des plages et des stations balnéaires, des expériences de santé et de bien-être et, dans le sillage des Jeux olympiques de Pékin, même des sports d'hiver. Comment recherchent-ils les destinations potentielles ? À l'ère de l'hyper-numérisation, ils visionnent bien sûr de courtes vidéos : 30 % du temps passé sur Internet mobile est consacré à des vidéos de type TikTok, selon un journal chinois [en anglais].
Selon le baromètre OMT du tourisme mondial publié en juillet 2020, la Chine était de loin la plus grande source de dépenses de voyages internationaux au monde, avec 254,6 milliards de dollars en 2019, suivie des États-Unis (152,3 milliards de dollars), de l'Allemagne (93,2 milliards de dollars) et du Royaume-Uni (71,0 milliards de dollars). Mais c'était avant le Covid. Selon un article publié en septembre, le nombre de visiteurs chinois aux États-Unis [en anglais] est passé de 2,8 millions en 2019 à seulement 192 000 au plus fort des confinements liés au Covid en 2021. L’Office national des voyages et du tourisme (National Travel & Tourism Office) des États-Unis estime que ce nombre passera à 850 000 en 2023 et à près de 1,4 million en 2024.
En mai 2023, Mckinsey a exhorté les hôteliers à se préparer au « retour imminent des touristes chinois ». Hum hum. Quoi qu'il en soit, ses recherches suggèrent que les Chinois manifestent un intérêt moindre envers les voyages en Europe au profit de destinations telles que l'Asie-Pacifique, à savoir l'Australie et la Nouvelle-Zélande, l'Asie du Sud-Est et le Japon – bien que ce constat ne s’applique pas aux voyageurs plus aisés.
Dans le troisième volet de la présente série, nous examinerons en profondeur les répercussions de la baisse du tourisme entrant chinois et l’évolution des tendances sur certaines destinations de vacances.