Avec une chute de 40% du nombre de nuitées en 2020, le secteur hôtelier suisse est au bord de l’asphyxie. Une saison exceptionnelle cette été, pourrait cependant limiter les dégâts.
Le téléphone sonne désespérément dans le vide. Depuis septembre, les employés de l’hôtel Le Richemond ont été renvoyés chez eux. La crise sanitaire a eu raison des 5 étoiles et des 150 années d’histoire de l’institution Genevoise. La direction n’a eu d’autre choix que de mettre l’activité de l’hôtel entre parenthèses jusqu’à nouvel ordre. Cette situation dramatique est loin d’être un cas isolé. A Lausanne, le Royal Savoy est au repos forcé, depuis novembre, faute de clients. De son côté, le célèbre Swissotel de Zurich, inscrit au patrimoine architectural de la ville vient d’être transformé en résidence étudiante à prix cassés.
En 2020, l’hôtellerie suisse a vendu 23.7 millions de nuitées, soit 40% de moins qu’en 2019. Les chiffres publiés fin février par l’Office fédéral de la statistique (OFS) montrent aussi une baisse de 66% de la demande étrangère. En cause principalement, la baisse du trafic aérien international. Selon l’International Air Transport Association (IATA) le nombre total de vols a plongé de 65% en 2020.
L’OFS révèle également que la fréquentation hôtelière était au plus bas en avril 2020 lorsque les risques épidémiques semblaient au plus fort : la demande s’est effondrée de… 92%. A titre de comparaison, lors de la crise financière (2008-2012), la baisse annuelle de fréquentation s’était cantonnée à 7%. Seule lueur d’espoir, le fort engouement des Suisses à partir en vacances pendant l’été dernier aura permis au secteur de survivre. En juillet et août, la baisse de fréquentation s’est limitée à -25% et -27%.
Enfin, les chiffres de l’OFS montrent que si tous les hôtels sont touchés, ils ne sont pas tous affectés de la même manière : alors que la demande annuelle a chuté de 70% en agglomération, les autres destinations parvenaient à limiter la casse. Les établissements alpins, par exemple, ont vu leur clientèle diminuer de 20% en moyenne. Au total, la perte pour le secteur est estimée à 2 milliards de francs en 2020. Si l’on inclut les activités indirectes (restauration, soins…), le manque à gagner se chiffre à 3,4 milliards de francs au bas mot, selon HotellerieSuisse.
Dès le début de l’année 2021, avec les mises en place des campagnes de vaccination et l’allégement attendu des restrictions de déplacement, le secteur espérait un retour à la normale rapide. Six mois plus tard, malgré la levée de certaines restrictions sanitaires, les taux de remplissage sont encore loin des niveaux historiques.
Pour que les hôteliers retrouvent un chiffre d’affaires viable, il faudra d’abord compter sur la demande autochtone (qui devrait fortement augmenter au cours du troisième trimestre). Dans les grandes villes, un retour à la normale ne sera permis que par la levée des restrictions frontalières actuellement en vigueur et le redressement du trafic aérien. Dans un second temps, un effet « rattrapage » est aussi espéré par les 4'600 hôteliers suisses. Les budgets vacances épargnés par les ménages en 2020 se reporteront-ils sur l’été 2021 ? De cette question dépend probablement l’avenir de nombreux acteurs du secteur. Par ailleurs, il faudra aussi prendre en compte l’évolution de la situation sanitaire et le moral des vacanciers potentiels, l’inquiétude étant un frein à la consommation. L’embellie espérée, permettrait en tout cas aux hôteliers de faire face à leurs obligations à court terme, qui deviennent de plus en plus difficiles à honorer.
En effet, la situation financière s’est tendue dans de nombreux établissements. Le secteur pâtit de frais fixes élevés qu’il faut financer, souvent par de l’endettement supplémentaire. Tous les business models sont touchés. Les hôtels dit asset-light (qui louent leurs locaux) doivent faire le grand écart entre des charges locatives inchangées et une diminution des recettes. Ce n’est guère mieux pour les établissements propriétaires de leurs murs : il faut rembourser un crédit et reconnaître de lourdes charges d’amortissement, que de fragiles chiffres d’affaires peinent à couvrir.
Plus largement, si la majorité des entreprises du secteur pourront résister avec un retour rapide des touristes, une vague de faillites reste possible. GastroSuisse a rapporté que l’offre (la vente ou la fin de bail) de locaux d’hôtellerie et de restauration a explosé. Sur la plateforme immobilière ImmoScout24 cette offre a augmenté de 70% en 2021 par rapport à 2020. La libération surprise de ces locaux est le premier indicateur d’une vague de fermetures imminente.
De nouveaux assouplissements des restrictions sanitaires sont attendus cet été, et pourraient redonner un espoir aux hôteliers. Pour survivre, il faudra booster la demande dans tous les compartiments (hébergement, F&B, services) en proposant des offres spéciales sans toutefois rogner sur les marges. Une équation délicate, qui pourrait être la clef de sortie de crise pour de nombreux professionnels.