Professionnels de la cuisine, enseignants de l'EHL Hospitality Business School et experts médicaux partagent leurs dernières perspectives sur l'intersection de la gastronomie et de la santé. En combinant leurs connaissances en cuisine et en nutrition, ils explorent des approches innovantes pour allier alimentation équilibrée et bien-être. À travers leurs analyses et recommandations, cet article met en lumière les enjeux cruciaux et les enseignements clés pour une alimentation saine et plaisante, essentielle à la santé publique.
Les défis de l’alimentation et de la nutrition en milieu hospitalier selon Silvia Hanhart, Cheffe du service hôtelier du CHUV. |
Silvia Hanhart connait bien les stratégies et les défis rencontrés par les équipes dans la gestion de l'alimentation hospitalière. Elle souligne la nécessité d'un service alimentaire flexible et précis en milieu hospitalier. En offrant un soin nutritionnel optimal, le CHUV s'efforce de fournir une alimentation équilibrée, adaptée aux besoins individuels des patients tout en maintenant des normes élevées en matière de qualité et de goût.
Le CHUV prépare annuellement plus de deux millions de repas, répartis entre les menus standards, les régimes spéciaux, et les repas pour les collaborateurs. Les chiffres montrent un défi croissant dans la gestion de ces régimes, nécessitant un travail étroit avec les diététiciens et autres professionnels de la nutrition pour répondre aux besoins spécifiques des patients.
L'un des principaux défis est de prévenir la dénutrition chez les patients tout en adaptant les repas aux pathologies. Le CHUV propose trois repas par jour et des collations supplémentaires pour atteindre les apports caloriques recommandés, tout en s'assurant que chaque repas soit visuellement appétissant pour encourager les patients à manger.
La cuisine du CHUV accorde une attention particulière aux produits régionaux et de saison. Le partenariat avec promotion Vaud et les analyses régulières de Beelong permettent d'assurer une évolution constante des pratiques d'achat. La cuisine interne maintient également un haut degré de fabrication maison, produisant des mets protéinés spécifiques et des charcuteries variées.
Les repas sont adaptés en collaboration étroite avec les diététiciens, tenant compte de l'âge, de la pathologie, et de la durée du séjour. Une commission mensuelle analyse les régimes alimentaires pour assurer que les menus répondent aux besoins spécifiques de chaque patient.
Le CHUV prépare des "assiettes particulières" pour les patients avec des allergies ou des besoins métaboliques spécifiques, chaque plat étant minutieusement préparé par un cuisinier diététique dédié. Des référentiels détaillés par régime alimentaire guident les cuisiniers dans la composition et la fréquence des ingrédients, assurant un suivi et une qualité constante.
Le service hôtelier du CHUV souhaite devenir plus proche des patients, en prenant les commandes directement au lit pour créer une expérience plus agréable. Le personnel d'étage pourrait aussi gérer les stocks alimentaires et servir les patients à leur demande, réduisant ainsi le gaspillage alimentaire.
L'objectif est de transformer les processus de production et de distribution pour offrir des repas chauds et complets en continu, tout en limitant les déchets alimentaires et en préservant les vitamines et minéraux.
Manger ou ne pas manger : liens entre nutrition et santé" par la Dre Dominique Truchot-Cardot, Médecin nutritionniste, Professeure HES ordinaire, Responsable du SILAB, La Source |
La Dre Dominique Truchot-Cardot offre une perspective fascinante sur la nutrition en relation avec la santé, explorant ce qui tue, contraint, ou doit être privilégié dans notre alimentation. Selon elle, l'alimentation doit être vue comme la première médecine. En mettant l'accent sur le plaisir et la convivialité autour de la table, la nutrition devient un outil puissant pour améliorer la santé et le bien-être.
Les allergies alimentaires sont en augmentation, prévoyant d’atteindre 50 % de la population d'ici 2050. Les restrictions alimentaires médicales, souvent liées aux examens ou aux complications hospitalières, créent également des risques de dénutrition. De plus, les compléments alimentaires pris de manière anarchique et les toxi-infections alimentaires continuent d'affecter la population.
Microbiote et la nutrition, un écosystème délicat notre santé physique et mentale, selon la Dre Katerina Galperine, Privat-Docent, MER, Cheffe de Clinique au service des maladies infectieuses du CHUV |
La Dre Galperina expose un panorama de nos connaissances sur le microbiote intestinal, son rôle dans l'organisme, ses interactions avec notre santé, et les moyens de le moduler pour des bénéfices thérapeutiques.
Le microbiote intestinal est un écosystème complexe constitué d'une variété de micro-organismes tels que bactéries, virus, et archées. Cet écosystème dynamique participe au métabolisme, à la défense immunitaire, et à la barrière intestinale, crucial pour absorber les nutriments tout en protégeant contre les pathogènes.
Chaque individu possède un microbiote unique, variant en composition et en fonction. Les facteurs comme l'alimentation, les médicaments, l'exercice, et l'âge influencent cette composition. Les variations peuvent être observées même à court terme, illustrant la nature dynamique du microbiote.
La Dre Galperine souligne que malgré des progrès importants, la définition d'un microbiote sain reste impossible. Les tests vendus pour analyser la composition du microbiote ne fournissent pas d'informations utiles. Cependant, des interventions ciblées peuvent moduler le microbiote pour des résultats thérapeutiques.
La Dre Galperine dirige le projet de transplantation de microbiote intestinal au CHUV. Cette procédure implique le transfert de la flore digestive d'un donneur sain à un patient souffrant d'une pathologie liée au microbiote. Elle est particulièrement efficace pour traiter les infections récurrentes de clostridium difficile, avec un taux de réussite de 80 à 95 %.
Les études montrent que les changements alimentaires peuvent influencer le microbiote. Par exemple, un régime riche en protéines et graisses animales peut rapidement perturber la composition microbienne. Toutefois, l'effet est réversible en revenant à une alimentation équilibrée.
Les prébiotiques (aliments stimulant le microbiote) et les probiotiques (micro-organismes bénéfiques) n'ont pas encore de preuves significatives de leur efficacité. Cependant, la recherche sur les probiotiques de deuxième génération est en cours. Leur succès repose sur leur intégration dans un mode de vie plus sain, comprenant alimentation équilibrée, exercice, et méditation.
Les aliments fermentés : savoureux... et sains ? Réponse par le Dr Guy Vergerès, Senior Scientist à l’Agroscope. |
Le Dr Guy Vergerès présente l’état de la recherche sur les aliments fermentés.
Les aliments fermentés sont définis comme des aliments produits par une croissance microbienne souhaitée et des transformations enzymatiques de composants alimentaires. Il y a des preuves de fermentation par l’homme qui date d’au moins -6000 avant JC. Grâce aux recherches sur le génome, les scientifiques supposent que les ancêtres des humains, gorilles ou chimpanzés consommaient des fruits fermentés depuis 10 millions d’années.
En Suisse, presque un tiers de notre alimentation est composé d’aliments fermentés ou de plat à base d’aliments fermentés. Les aliments fermentés sont fabriqués pour la conservation mais aussi pour créer de nouveaux goûts, arômes et textures. Les bactéries des aliments fermentés digèrent les glucides non digestibles qui nourrissent les microbes intestinaux, prébiotiques, produisent des composés bénéfiques pour la santé, comme les vitamines et peuvent, temporairement, coloniser nos intestins et éventuellement améliorer notre santé. Les aliments fermentés sont tendances dans la presse mais que dit la science ?
Dans la recherche, on observe des corrélations entre la consommation de bactéries vivantes des aliments fermentés et la santé mais il encore trop tôt pour conclure. Le yaourt est le seul aliment fermenté reconnu pour voir un effet bénéfique sur la santé d’après l’autorité de régulation américaine. Ainsi manger du yaourt régulièrement, au moins 3 portions par semaine, peut réduire le risque de diabète de type 2 selon des preuves scientifiques limitées.
Les experts de l'EHL explorent continuellement ces thématiques essentielles, en collaboration avec les professionnels de la gastronomie et du médical. Ensemble, ils discutent des liens entre nécessité et plaisir en analysant des cas pratiques dans le monde hospitalier, mettant en lumière comment équilibrer les deux. Ils analysent les connexions entre gastronomie et santé, soulignant leur importance pour la santé publique. Comment conjuguer bon et sain ? Les recherches couvrent les enjeux économiques, nutritionnels et de sécurité alimentaire.
Ils s'efforcent de partager et vulgariser ces réflexions sur les défis de fournir une alimentation équilibrée dans les hôpitaux, tout en prenant en compte les régimes spécifiques. La Cheffe Lucrèce Lacchio, David Droz-Vincent et Siliva Hanart soulignent l'importance de l'intégration de la gastronomie dans les soins, offrant des options végétariennes et véganes qui respectent les goûts individuels et les exigences médicales. Enfin, tous soulignent la nécessité de réformer la manière dont la société conçoit et consomme la nourriture. Une meilleure éducation, une réduction du sucre, et des initiatives publiques peuvent transformer la gastronomie pour une meilleure santé. Voici les idées à retenir:
Pr. Peter Kopp souligne quatre axes majeurs :
La Dre Lucie Favre partage des statistiques préoccupantes : 12 % des adultes en Suisse sont obèses, un chiffre en constante augmentation. Les obésités plus sévères entraînent d'autres pathologies comme le diabète et l'hypertension. Les populations vulnérables sont particulièrement touchées par ces maladies.
La Dre Dominique Truchot-Cardot souligne l'importance de cibler la prévention dès le plus jeune âge. Les générations actuelles grandissent souvent sans avoir vu leurs parents cuisiner, rendant difficile l'apprentissage d'une alimentation équilibrée.
La Dre Favre insiste sur l'importance d'apprendre aux enfants à reconnaître la faim et la satiété. Les parents doivent éviter de forcer les enfants à finir leur assiette, et les encourager à identifier leurs sensations alimentaires.
Les experts recommandent plusieurs solutions :
Ces recherches et réflexions offrent une plateforme enrichissante pour les professionnels de la cuisine et du milieu médical, en explorant des approches novatrices alliant alimentation équilibrée et plaisir gustatif. Elles mettent en lumière l'importance de la nutrition comme un complément essentiel aux soins, en abordant les défis économiques, nutritionnels et de sécurité alimentaire. Elles permettent également de mieux comprendre les stratégies pour prévenir la dénutrition, promouvoir des produits régionaux, et intégrer la gastronomie dans les soins hospitaliers. Une alimentation qui allie plaisir et bien-être, et qui puisse répondre aux enjeux de santé publique actuels et futurs, est une nécessité.